La Sphère Humaine Circulaire (mise à jour 2019)

Alexandre Lemille
11 min readJun 15, 2019

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Définir de Nouveaux Rôles Humains (Alexandre Lemille, 2019)

Intégrer tous les stocks et flux, suivant une vision symbiotique complète.

par Alexandre Lemille (mise à jour 2019)

Une Économie des Stocks et des Flux

L’économie circulaire repose sur plusieurs concepts, dont deux — le biomimétisme et la permaculture — indiquent que nous vivons dans des systèmes complexes mais ordonnés, dans lesquels toutes les ressources et tous les flux doivent être pris en compte.

Ce modèle économique met également l’accent sur la nécessité de stationner au sein d’un équilibre habitable entre résilience et efficacité des systèmes dont nous dépendons pour notre survie. Ici, la pérennité de ces systèmes est aujourd’hui une priorité absolue.

L’économie circulaire est un modèle basé sur les notions de régénération de notre capital naturel et de restauration de notre capital réutilisable et réusinable. Contrairement à un modèle basé sur des volumes d’utilisation de ressources exploitées, il s’agit ici d’optimiser au mieux ces ressources et ces flux, à disposition, afin de les maintenir le plus longtemps possible dans notre sphère éco-systémique (économie de système). Ce modèle est donc une approche permettant de mieux gérer la quantité et de préserver la qualité de ces stocks ainsi que de capter l’ensemble des flux de toutes les énergies renouvelées disponibles.

Notre Troisième Stock, un Stock Dynamique

Lorsque nous inventorions les stocks et les flux disponibles, nous avons des nutriments biologiques provenant de la biosphère et ceux dits « techniques » provenant de la technosphère (ou sphère technique). Ce sont les deux stocks privilégiés aujourd’hui dans le modèle de l’économie circulaire.

Le stock en provenance de la biosphère est en train de disparaître à un rythme effréné. Notre priorité commune consiste à déployer des stratégies pour le régénérer. Il s’agit ici d’en préserver ses fondements et de répliquer, dans un mimétisme parfait, les cycles Naturels afin de le protéger tout en palliant aux besoins agricoles d’un monde à dix milliards d’habitants. La biosphère est de loin la sphère la plus importante car vitale.

Le stock de la technosphère doit être préservé et donc réévalué en questionnant notre façon d’y accéder. Ici, il nous faut estimer son potentiel afin de nous assurer qu’il réponde aux besoins économiques de la population mondiale dans un mode de collaboration poussée.

Pourtant, dans la conception d’un modèle réellement symbiotique pour la préservation des générations futures, nous pourrions bénéficier du dynamisme d’un troisième stock: nous, les humains.

En effet, il est le seul à se développer et à se régénérer rapidement: nous allons bientôt passer de 7,6 milliards à 10 milliards de personnes au XXIème siècle. Cela pourrait-il être une bonne nouvelle plutôt que la perspective effrayante souvent décrite ? Nous sommes non seulement abondants, mais aussi disponible de suite dans un nouvel objectif : être en charge de la régénération de notre écosystème.

Si nous l’analysons avec un angle « circulaire », celui-ci semble aussi générer toutes sortes d’énergies de façon continue, à savoir renouvelées quotidiennement. Afin de nous éloigner du modèle actuel où les ressources ont été épuisées, nous pourrions tenir compte de l’entièreté des stocks et des flux disponibles dans la conception éco-systémique d’un avenir positif à tous et pour tous. Et ce, à la condition que ces stocks et ces flux soient basés sur une notion d’abondance renouvelée afin d’apporter le niveau de résilience nécessaire aux systèmes dont nous dépendons. De plus, il nous faudra les appréhender sous un angle innovant permettant une réelle optimisation afin de répondre aux besoins des populations futures.

Figure 1: L’ensemble des stocks et des flux présents sur Terre. Dans une ‘économie circulaire 2.0’, nous identifions tous les stocks et tous les flux, en particulier quand ils sont disponibles de suite et en abondance. Il nous faut adapter nos systèmes de vie à leur dynamisme et leur accès.

De Nouveaux Rôles Humains

La comptabilisation de tous les stocks et flux a conduit à la réalisation du graphe de l’économie circulaire adapté (Figure 2). Lorsqu’on applique la «pensée circulaire» en y incluant les humains, des points d’interactions avec la sphère biologique d’une part (en vert) et la sphère technologique de l’autre (en bleue) apparaissent. L’identification de ces quatre intersections nous permet de questionner quels pourraient être nos futurs rôles humains dans un modèle non seulement régénérateur et réparateur mais aussi inclusif et juste. Sommes-nous simplement des utilisateurs de services dans un nouveau modèle productiviste, ou pouvons-nous réaliser quelque chose de plus séduisant pour nous tous?

Nous sommes Nature. Que diriez-vous d’identifier des moyens novateurs participant à la reconstitution de notre biosphère dans le cadre de nos activités quotidiennes ? Cela passerait par des modifications profondes de nos comportements et du sens à donner à la vie sur Terre.

Nous sommes Énergie. Pourquoi ne pas nous considérer comme une source privilégiée d’énergies, disponibles localement, à une température ambiante adaptée à la préservation de notre biosphère et de notre technosphère. Cette perspective nous permettrait de nous poser les bonnes questions avant d’aller chercher d’autres solutions, souvent technologiques, et donc d’exploitation.

Figure 2: La Sphère Humaine Circulaire. Dans une perspective d’application de la «pensée circulaire» aux humains, ceux-ci pourraient jouer deux nouveaux rôles majeurs dans la reconstruction de notre biosphère et dans la revalorisation de notre technosphère.

La Sphère Humaine Circulaire complète la vision symbiotique de l’ensemble de nos stocks et de nos flux disponibles. Elle permet de nous donner des choix supplémentaires dans nos décisions véritablement innovantes à mettre en place.

Examiner dans un premier temps les stocks biologiques et humains permettrait d’atténuer les pressions sur ceux techniques, et donc désormais limités.

Les 4 Stratégies de la Sphère Humaine

Sur la base de ces deux nouveaux rôles — «nous sommes Nature» et «nous sommes Énergie» -, quatre stratégies peuvent être identifiées nous reliant avec les deux autres sphères identifiées comme circulaires.

Les deux premières stratégies s’orientent sur notre capacité à changer et donc de nous adapter en profondeur aux deux sphères à préserver:

Figure 3: Les Stratégies d’Adaptation et de Valorisation. Elles consistent à comprendre nos rôles futurs dans un contexte d’économie de système où l’humain jouera plusieurs rôles clés dans la préservation des deux sphères évoluant sous ses impacts, positifs ou négatifs.

La Stratégie d’Adaptation (‘nous sommes Nature’):

Ici, nous chercherons à comprendre comment les humains s’adapteront à la croissance de la biosphère, la seule croissante bénéfique et donc désirée. Nous pourrions nous inspirer du modèle des fourmis: elles pèsent plus que l’ensemble des 7,6 milliards d’êtres humains sur la planète, mais reconstruisent chaque jour notre écosystème. Comment pourrions-nous développer une stratégie similaire nous confondant au monde biologique?

Elles pourraient bien sûr être les évidentes actions collectives massives (reboisement / reboisement, agriculture régénérative, forêts urbaines, reconstitution des zones humides et des mangroves), mais allons plus loin. Et pourquoi ne pas étudier notre capacité à remplacer les fonctions environnementales qui disparaissent (pollinisation assistée par les humains, régénération des sols via l’humusation) le temps que celles-ci réapparaissent à échéance, et/ou le développement de nouvelles sciences renforçant le ‘lien de Vie’ par des approches biomimétiques (imitation des cycles Naturels) et homomimétiques (imitation des cycles humains) où les humains pourraient renouer avec la Nature afin de la reconstruire quotidiennement.

La Stratégie de Valorisation (‘nous sommes Énergie’):

Dans cette approche, les énergies provenant de la biosphère et/ou des humains sont privilégiées. En effet, à bien y regarder, les énergies renouvelables disponibles proviennent aussi des humains. Une fois que nous mangeons et dormons, nous sommes de l’énergie disponible, distribuée et fonctionnant à température ambiante acceptable pour la biosphère. Dans des approches à l’opposé des principes productivistes d’antan, ces sources d’énergies biologiques ou humaines seront à privilégier dans une économie concentrée sur la réduction, la réparation, l’entretien ou la reconstruction des composants impliqués dans les processus économiques. Une approche plus équilibrée prenant en compte la composante humaine est préférable à une approche binaire entre le biologique et le technique. Elle permettrait d’avoir une troisième source d’innovations, mais aussi de réduire les pressions exercées sur les deux sphères circulaires identifiées à ce jour, tout en augmentant la résilience des systèmes à long terme dans un modèle dont l’objectif sera d’être économiquement stationnaire (Bourg, Ansperger, 2016).

Les deux stratégies suivantes permettent de mesurer les avancées de l’humanité vers la préservation de la vie sur Terre sur la base de notre adaptation suffisamment profonde (Évolution) tout en veillant à ce que la circularité du système ait pour objectif de répondre de façon optimale aux besoins humains réels (Avancées3).

Figure 4: Les Stratégies d’Évolution et d’Avancées3. Elles ont pour objectif la mesure de nos impacts afin de comprendre les boucles retour des sphères biologique (adaptation aux écosystèmes garantissant le bien-être) et technique (avancées dans le bien-être humain) sur celle humaine. Elles consistent à évaluer la distance restant à parcourir vers un monde circulaire et équitable.

La Stratégie d’Évolution:

Cette stratégie a pour but de nous aider à comprendre comment maintenir «lien avec la vie» sur Terre. Elle représente la boucle retour des effets que nous exerçons sur la sphère biologique et au-delà. Évidemment, il s’agit ici davantage d’un curseur scientifique sur l’état de la planète et des adaptations à prendre en compte dans la préservation des conditions propices à la vie de tous ses habitants.

Il nous faudra développer les connaissances nécessaires à la circularité globale ainsi que la distance entre notre situation linéaire actuelle et le niveau de circularité à atteindre dans un monde sécurisé d’un point de vue environnemental et juste d’un point de vue social.

La Stratégie d’Avancée-‘cube’ (bien-être = adaptation + valorisation) :

Cette stratégie consiste à mesurer les avancées de l’humanité selon trois dimensions: créer un modèle économique générant le bien-être de tous pour tous (notre projet global unificateur) de par notre adaptation suffisamment profonde à la biosphère (Stratégie d’Adaptation) plus notre capacité à protéger la valeur humaine en tant que composante essentielle à la préservation de la technosphère (valorisation des humains comme énergie disponible). Évidemment, pour pouvoir mesurer les changements positifs au travers de ces trois dimensions, il nous faudra modifier nos législations, notre compréhension de la valeur, nos comportements et prises de décisions sur ce qui sera désormais vital, la structuration des coûts à prendre en compte afin de donner la préférence à ce qui est souhaité (en priorité les ressources abondantes et énergies infinies disponibles) et ce qui est à protéger (les ressources limitées voire en voie de disparition) ou à éviter (les ressources ou énergies mettant l’Humanité en danger).

Les Humains comme la clé de l’“Équation de la Vie”

Au-delà de considérer les humains comme nature et comme énergie, nous devons intégrer trois priorités dans une vision autant circulaire qu’équitable:

Figure 5: Les Priorités du futur modèle économique. Ce modèle se devra d’intégrer toutes les dimensions environnementale, sociale et économique dans une approche symbiotique complète visant à régénérer, à restaurer et à protéger. La première des priorités étant de répondre à tous les besoins humains via la circularité des systèmes dans un modèle éradiquant toutes les externalités négatives étape par étape, tout en évitant le rebond de consommation par des gouvernances intergénérationnelles.

Priorité 1: L’économie est un «outil» ayant pour objectif unique de répondre aux besoins des personnes, et non en imposer ses objectifs économiques aux personnes (K. Polanyi, 1946). Une telle économie doit être conçue de manière symbiotique pour répondre aux besoins de toutes les sociétés humaines et ce, grâce à la circularité de nos systèmes. Cette circularité devient ici le moyen pour y parvenir, et non une fin en soi.

Priorité 2: Dans un modèle économique où l’accès à des services prend l’avantage sur la propriété des objets, la polyvalence et la flexibilité de ces services permettraient de réduire les barrières économiques afin d’intégrer le milliard d’êtres humains qui ne font pas actuellement partie de notre système économique. C’est dans la nature même d’un service que d’être non seulement adaptable en fonction des besoins identifiés mais aussi abordables, car polyvalents (en comparaison à une économie basée sur des produits standardisés, et donc non flexible).

Comme le prouve le livre «The Spirit Level» de Kate Pickett & Richard G. Wilkinson, les entreprises se portent mieux dans des sociétés plus équitables.

Priorité 3: L’insertion de la dimension humaine dans le modèle de circularité nous permet désormais de faire partie intégrale de «l’équation de la vie sur Terre», en tant que composante vitale à l’adaptation aux deux sphères circulaires (Figure 2). Cette vision en symbiose complète pourrait nous permettre d’évoluer vers de nouvelles perceptives et innovations dans notre capacité d’adaptation à l’écosystème.

Une telle perception du monde dont nous dépendons nous amènerait aussi à implémenter des stratégies évitant un rebond potentiel de la consommation. Les changements des comportements intrinsèques pourraient se produire plus rapidement en intégrant la composante humaine à ce nouveau paradigme. Un évitement d’un tel rebond se ferait par des décisions prises sur le très long-terme sur la base de la science naissante du «décentrement» ou «décentration», telle qu’appliquée par les tribus originelles du continent américain depuis toujours. La “décentration” est la capacité à penser à la place des générations futures qui ne sont pas encore nées, afin de préserver la vie sur Terre en décidant comme si nous étions “ces générations”.

À ce jour, nous n’avons pas été en mesure de décider de la survie de l’Homo Sapiens Sapiens, aussi bien dans nos prises de décisions individuelles et collectives. Développer de nouvelles capacités à gouvernance collective décentrée permettant la survie des générations futures nous aiderait à préserver la vie sur cette planète.

Un tel modèle économique équitable et circulaire, ici appelé aussi l’« Économie Circulaire 2.0 »*, se construit sur la reconnaissance que le déchet, la pollution de la dimension environnementale, et désormais, leurs équivalents de la dimension sociale, à savoir, la pauvreté et les iniquités, n’existent uniquement dans les sociétés humaines. Elles ont été créées sur une conception erronée de la vie humaine sur Terre. Cette conception doit être réajustée.

Selon le modèle HANDY (2014), financé par la NASA, l’humanité ne survivra que si elle résout deux de ses principaux problèmes: les inégalités sociales profondes et la mauvaise gestion des ressources.

L’économie circulaire équitable, intégrant cette sphère humaine, pourrait être l’un des outils nous permettant d’atteindre cet espace sans danger d’un point de vue environnemental et juste pour les sociétés humaines proposé par le Docteur Kate Raworth, de L’Économie du Donut.

Bâtir une économie autant «équitable » que « circulaire» semble être un choix judicieux, d’autant plus que l’équité fait le sens des affaires dans une future économie réellement circulaire et donc collaborative.

Et tout ceci est réalisable.

*L’Économie Circulaire 2.0 puise ses fondements dans l’économie circulaire tout en y intégrant la dimension sociale représentée ici par la Sphère Humaine Circulaire. En Économie Circulaire 2.0 nous reconnaissons que non seulement les déchets et la pollution n’existent pas dans la Nature et doivent être conçus hors de nos systèmes. A cela, nous y ajouter les équivalents de la dimension sociale, à savoir la pauvreté et les iniquités, existants uniquement dans les sociétés humaines. En plus des trois Principes Circulaires “sécurisés” orientés vers la préservation de l’environnement, nous ajoutons trois Principes Circulaires “justes”, préservant la valeur humaine et l’équité sociale. Plus d’information sur ce modèle: www.AlexandreLemille.com

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Alexandre Lemille

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